DSIH – Le numérique responsable, au cœur des enjeux majeurs de société
Fidèle à la tradition, la dixième édition des journées des adhérents du SIB, qui a réuni 500 participants à Saint-Malo les 17 et 18 mars derniers, a fait un pas de côté, pour reprendre les mots d’Olivier Morice-Morand, directeur général du SIB. Cette année, l’attention s’est tournée vers le numérique responsable, un enjeu dans la continuité des engagements du groupement d’intérêt public depuis 2014 en faveur de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
La révolution numérique, accélérée par le Covid 19, génère des impacts écologiques, certains bénéfiques, d’autres moins. Montrer l’envers d’un numérique perçu comme immatériel, « raconter la matérialité de nos vies connectées », tel était le projet de Guillaume Pitron lorsqu’il s’est lancé dans la réalisation de son livre L’enfer du numérique, voyage au bout d’un like1. Comme l’a évoqué le journaliste, réalisateur et grand témoin de ces journées : « Le vocabulaire du numérique laisse à penser que la technologie est indolore pour l’environnement. On parle de Cloud, de réalité virtuelle… » Tout semble évanescent. Dans les faits, le numérique pollue. Les puces électroniques, « plus puissantes que l’ensemble des programmes informatiques qui ont envoyé l’homme sur la lune, dans les années soixante-dix » sont montrées du doigt. Les métaux rares qui les composent « sont très dilués dans l’écorce terrestre. Il faut beaucoup de roches pour pouvoir les raffiner ». Plus les composants permettant de développer des outils numériques sont petits, plus leur empreinte carbone est élevée, et ce principalement sur leur phase de fabrication. Ainsi un ordinateur portable de 1,2 kg pèse 1 500 kg (poids des ressources naturelles nécessaires à sa fabrication), un smartphone ne pèse pas 150 gr, mais 183 kg… et une puce électronique 32 kg selon les calculs de l’Institut Wuppertal. Ce que Guillaume Pitron résume ainsi : « Plus c’est virtuel, plus c’est matériel ». Le recyclage de ces équipements numériques, insuffisant à ce jour, semble constituer un levier prioritaire pour contrer les effets du numérique sur notre environnement. Mais, cette piste est-elle aussi pertinente qu’elle paraît évidente ? Rien n’est moins sûr : le dés-alliage de ces minerais est complexe et aussi générateur d’effets indésirables, rapporte l’auteur. Les data centers, disséminés partout sur la planète, constituent l’autre point névralgique des impacts environnementaux du numérique. « Nous échangeons chaque jour avec une centaine de data centers », a-t-il rappelé. Or, ces centres de données sont, d’après l’ADEME, en passe de devenir l’un des plus gros postes de consommation électrique du 21ème siècle. Si l’on en croit Steve Case, ancien PDG d’AOL et auteur de The Third wave publié en 2017, nous sommes à l’aube d’un monde multiconnecté, passant de l’Internet des objets à l’Internet de tout. En 2042, nous devrions consommer 45 fois plus de données qu’en 2020… Guillaume Pitron en est convaincu, la green IT qui n’en est qu’à ses débuts va constituer « un sujet majeur pour les 20 à 30 prochaines années ». Reste que pour définir et mettre en oeuvre une stratégie de réduction des impacts environnementaux du numérique, les métriques manquent. Des progrès dans ce domaine sont nécessaires, alors que se joue :
« Une course de vitesse avec d’un côté l’accélération et l’amélioration des technologies de stockage des données se traduisant par une efficacité électrique toujours meilleure, et de l’autre l’augmentation de nos modes de consommation et des nouveaux usages ».
Pierre Derrouch
Quand les citoyens s’invitent au cœur des politiques publiques.
Céline Faivre, directrice générale adjointe en charge du numérique, du juridique et déléguée aux stratégies numériques de la Région Bretagne et Dominique Pon, directeur général de la clinique Pasteur à Toulouse, et responsable ministériel au numérique en santé jusqu’à la fin avril 2022, ont illustré la place que pouvaient prendre les citoyens dans les politiques publiques en faveur d’un numérique responsable.
Première région à avoir obtenu le label « numérique responsable », la région Bretagne, qui a notamment en responsabilité les lycées, entend développer une stratégie numérique éducative, en incluant la manière dont les lycéens envisagent d’utiliser les ressources mises à leur disposition par la collectivité. « Ce sont des citoyens éclairés qui doivent contribuer aux politiques portées par la Région », a mentionné Céline Faivre.
Dominique Pon a évoqué la notion d’implication sincère et honnête des citoyens dans la gouvernance des politiques publiques. Des citoyens ont été tirés au sort dans le cadre de la feuille de route nationale du numérique en santé. Ils ont été formés aux enjeux de sécurité, d’usage et de partage des données de santé mais également de responsabilité environnementale. Cette intégration des citoyens dans les politiques publiques est essentielle à ses yeux, pour parvenir « à trouver les bonnes orientations et les bons équilibres sur ce qui est faisable et qui n’est pas de l’ordre du fantasme, tout en étant suffisamment ambitieux pour avoir un pays responsable sur ces sujets ». Comme l’a souligné Céline Faivre, « c’est collectivement que nous réussirons ».
Ils ont dit
Ces journées ont permis de réunir des acteurs du numérique et de la santé, tous engagés dans une réflexion sur un numérique responsable concret. Petit concentré de leurs interventions.
Pour Philippe Derouette, directeur adjoint de la stratégie à l’Institut du numérique responsable, il ne faut recourir à des solutions high-tech que si elles sont nécessaires. « Nous croyons en la simplicité, au partage, à la régéné ration à partir des outils connaissances déjà disponibles », argumente-t-il.
Claudie David, directrice de l’innovation au SIB, plaide aussi pour une innovation utile et écoresponsable. « Il faut revenir aux besoins des utilisateurs ».
Nicolas Jolivet, responsable de la BU cybersécurité et protection des données au SIB, rappelle la nécessité d’intégrer la question de la minimisation et du stockage des données de santé au plus tôt dans les projets, en misant sur un hébergement de proximité.
Pour Frederick Marchand, CEO et co-fondateur de Digital4better, le numérique à impact positif doit appliquer « la règle des trois U : utile, utilisable et réellement utilisé », ajoutant toutefois : « la sobriété ne doit pas être l’austérité ».
De son côté, Vincent Leroux, médecin de santé publique aux Hôpitaux de Saint-Maurice (94), parle d’écoconception de l’épisode de soin et défend une vision élargie du numérique responsable à l’ensemble de la production des soins : « L’écosoin [doit prendre] en compte les impacts environnementaux, et un usage raisonné du numérique dans une optique non pas de sobriété mais d’optimum numérique. »